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Toronto, ou Hollywood sans les palmiers En matière de cinéma nord-américain, il n’y a eu pendant longtemps qu’une seule Mecque : Los Angeles et les collines d’Hollywood. New York arrive derrière, faisant souvent office de réservoir arty, terrier de l’avant-garde. Pourtant, au fil des années et principalement pour des raisons économiques, la ville de Toronto est devenue un endroit privilégié pour l’industrie du film. Jusqu’à se voir attribuer le surnom d'« Hollywood North ».Les raisons qui peuvent pousser des producteurs hors de Californie ou des rues new-yorkaises sont d’abord financières. Comme l’explique Adam Nayman, critique de cinéma et auteur canadien,
« c’est une manière pour les productions américaines d’éviter d’avoir à traiter avec les gens d’Hollywood (...), une manière d’obtenir une main d’oeuvre bon marché, plus avantageuse. (...) Le Canada est devenu l’endroit où les gens se rendent pour les "financial runaways" », c'est-à-dire les fuites économiques.
Sur ce point, Vancouver, qui pourrait également concourir au titre de Hollywood du Nord tant on y tourne sans cesse, dispose de deux avantages. D’un côté, sa proximité avec la Californie, qui rend les allers-retours avec L.A. beaucoup plus faciles. De l'autre, son climat beaucoup plus clément que celui de Toronto, où il neige 5 mois sur 12, entre autres misères météorologiques.
Mais de son côté, Toronto est loin d’être en reste. Le gouvernement provincial Ontarien met de plus en plus l’accent sur le secteur du film : la Société de développement de l’industrie des médias de l’Ontario et Film Ontario sont les principales organisations chargées d’attirer les tournages étrangers, à travers des programmes fiscaux attractifs, comme des crédits d’impôt accordés sur les services de production, ainsi que sur les effets spéciaux et l’animation. Dans ces domaines, Toronto affirme de plus en plus son expertise.
D’importants efforts ont aussi été réalisés pour hisser Toronto à la première place en termes d’infrastructures, grâce à la construction de plateaux de tournages. Le géant Pinewood Studio, ouvert en 2008, s’étale sur pas moins de 20 000 mètres carrés, le tout à seulement vingt minutes du centre-ville.
Autre point d’avance : la ville dispose d’une architecture bien pratique qui se laisse facilement « déguiser ». Deux ou trois faux panneaux de signalisation, une attention portée aux détails, un peu de fumée et Toronto peut aisément passer pour New York, Chicago, ou même Boston.
Il est d’ailleurs amusant de s’attarder un peu sur la supercherie : le film
Good Will hunting par exemple, qui fait figurer la célèbre faculté américaine du MIT -de notoriété publique située à Boston-, a été réalisé en grande partie à Toronto. Même chose pour le thriller
American Psycho, avec Christian Bale, ou encore avec le très acclamé
A history of Violence, sorti en 2005.
Côté film de super-héros, on peut rajouter à la liste le blockbuster
L’incroyable Hulk, le premier opus des
X-men ou encore la comédie d’action
Kick-ass. La mascarade atteint enfin des sommets avec Chicago, oscar du meilleur film, dans lequel on pourrait penser que la ville en elle-même joue un rôle important… Il fut pourtant lui aussi tourné principalement sur le sol canadien.
UNE PRODUCTION AU SERVICE DES USALes États-Unis ayant fait du Canada leur « pré-carré cinématographique », leurs rapports ne sont pas dénués de tensions. C'est ce qu'explique Adam Nayman :
« Ce n’est pas toujours une relation heureuse. Aux États-Unis, les gens se sont plaints de trouver moins d’offres de travail, car certains films sont désormais réalisés au Canada, où on redoute que notre industrie soit colonisée par les productions américaines ». Les frictions économiques se doublent donc d’un débat sur la notion d’exception culturelle, et sur la place du cinéma canadien.
Il est vrai que la cohabitation avec un voisin si influent n’est pas toujours facile : la concurrence paraît trop rude pour permettre aux productions canadiennes de rivaliser. Les États-Unis disposent d’un territoire et d’une réserve d’audience assez larges pour pouvoir suffisamment amortir des films à gros budgets, et ainsi faciliter leur export.
D’autre part, ils dominent le marché grâce à leur système historique de studios, unique en son genre. Il n’existe pas de « grands studios » canadiens comme il peut y avoir de majors américaines, tels que Sony Pictures ou Columbia, d’immenses conglomérats construits comme des banques d’affaires.
La différence de modèle économique se ressent sur le type de films produits :
« Il n’y a pas de blockbusters canadiens… un blockbuster au Canada a plus de chances d’être un film d’art, produit indépendamment, qui marche au box-office, plutôt qu’un film qui disposerait d’un budget et d’une exécution à grande échelle, analyse Adam Nayman. Les réalisateurs que j’ai interviewé au fil des années font toujours la même blague : n’importe quel film canadien est toujours un film indépendant. »À première vue condamné à se tenir éternellement dans l’ombre des États-Unis, le cinéma canadien est accusé de manquer d’exotisme. À l’exception de quelques oeuvres de réalisateurs emblématiques, Cronenberg en tête, le public n’y voit souvent que des films pas assez différents des productions US. Pour lui, la différence réside plutôt dans leurs budgets, bien plus minces.
UN STYLE À PART ENTIÈREQue reste-t-il alors au Canada pour s’imposer sur la scène du cinéma international ?
Sans doute une ambition artistique réelle, et la volonté de promouvoir le cinéma indépendant. Toronto y est pour beaucoup, notamment grâce au TIFF, le Toronto International Film Festival. L'événement est non compétitif, ne propose pas de palmarès mais plutôt des prix récompensant chaque année les meilleures productions internationales. Il se tient stratégiquement après tous les grands festivals européens, au mois de septembre. Une date qui lui permet de récupérer en avant-première tous les films n’ayant pas été terminés dans les temps, c’est-à-dire avant la fièvre estivale. De fait, depuis sa création dans les 1970, le TIFF propose une programmation de grande qualité et ne cesse d’attirer vedettes, producteurs et distributeurs, ainsi qu’un public de plus en plus nombreux.
On aurait tort d’oublier qu’en matière de films d’auteurs, Toronto a aussi sa propre histoire : déjà dans les années 1980, un mouvement de jeunes cinéastes indépendants, la Toronto New Wave, formée à ses débuts d’illustres inconnus (Atom Egoyan, Bruce McDonald, Patricia Rozema, Clement Virgo ou encore John Greyson) révolutionne l’image que le cinéma canadien se fait de lui-même.
Depuis quelques années pourtant, on assisterait selon certains critiques à l’émergence d’un renouveau créatif. La Toronto New Wave réunit des cinéastes qui s’appuient sur des petits, voire des micro-budgets pour raconter des histoires intimistes, dans des décors discrets. N’hésitant pas à faire appel au crowdfunding, réunissant souvent le même casting d’acteurs et d'amis, ces productions fleurent bon la culture DIY. Ils reflètent l’inventivité d’une génération numérique qui n'est pas à court de ressources. Parmi ces artistes à suivre, on compte d’ailleurs un nom célèbre : celui de Brandon Cronenberg, fils de David. Qu’on se rassure, la relève semble donc assurée.
Ces dernières années l’auront montré : Toronto n’a pas fini de faire parler d’elle sur grand écran. Dans le désormais culte
Scott Pilgrim Vs the World, sorti en 2010, on peut voir le personnage de l’acteur Michael Cera se rendre dans plusieurs endroits emblématiques de la ville, comme le château Casa Loma, la rue Carlton ou le quartier Cabbage Town. Ultime clin d’oeil de ce film 100% canadien : lorsque le méchant Lucas Lee, en pleine bataille sur un studio de tournage, jette Scott à travers un arrière-plan censé représenté New York, la toile se déchire pour faire apparaître … la CN Tower, symbole de la métropole ontarienne. Subtile manière de dire qu’il est temps d’arrêter de se cacher : Toronto est bel et bien une ville de cinéma.